Je regarde cette feuille blanche et je voudrais la noircir, étrange ce verbe. Noircir une page pour adoucir les moeurs, noircir pour soulager. Noircir cette page pour éclairer mon esprit. Une noirceur éclairante, douloureux oxymoron qui se développe au fil des mots. Ma plume n'est pas légère, elle n'a pas l'incision ni la délicatesse de l'écrivain. Ma plume n'est d'ailleurs pas plume puisqu'il ne s'agit que de touches que mes mains frôlent pour délier la parole. Quel chemin parcouru pour aboutir à ce congratulat de mots? Quelle part de volonté, d'inconscient pour permettre la rédaction de ces maux? Pourquoi l'écriture m'est-elle devenue indispensable alors que la nature ne m'a pas dotée de talent raisonnable?
Je noircis, j'éclaircis, je réflèchis: quel ordre doit-on donner à ces trois verbes? L'ordre est-il figé ou varie-t-il suivant les circonstances, les instances. Souvent, je me surprends à relire ce que j'écris, non pas pour la satisfaction de l'énoncé, ni la beauté de l'ensemble, malheureusement, je n'en suis pas là, non. Je me relis parce que la lecture semble source de réponse, réponse éphémère, contingente, mais réponse qui ne m'était pas familière. J'écris mais je n'ai pas l'impression que c'est moi qui pense. Lorsque je me relis, je viens rechercher un avis extérieur, l'aide d'une autre conscience. Peut-être le fait d'écrire permet à mon esprit de verbaliser les idées, de les aligner et par conséquent de les analyser. L'écriture n'est alors que le cheminement classique de la réflexion, preuve que mon cerveau manque d'imagination, de gestion mentale puisqu'il utilise ce détour matériel, concret.
L'écriture m'est souvent bienfaitrice, elle me permet de déverser le flot de rancoeur, de larme, et de douleur. Je parle à l'écrit alors que je ne sais écrire à l'oral, je ne sais verbaliser les idées qui, couchées sur le papier, me deviennent banales, évidentes, simples. Pourquoi m'est-il difficile de parler? Peut-être parce qu'il n'existe pas cette touche "effacer" qui permet de revenir en arrière, de modifier, d'éclaircir, de se tromper. A l'oral, les mots sont immédiats, les mots sont émotions et ne se distinguent guère des sensations. On parle trop vite, trop mal, on parle et on ne se rend pas compte de l'impact fatal de chaque terme prononcé. Pourtant, seule, je parviens à penser, à verbaliser mentalement mes idées. Mais dans ces moments là, il n'y pas de passage par la parole, pas la matérialisation de l'idée.
Noircir cette feuille me sera-t-il toujours nécessaire? Je n'écris que lorsque je vais mal, je n'éprouve aucun besoin à raconter le quotidien, ce qui va bien. Aucune nécessité de relater les moments rêvés. C'est certainement dommage, car défiler les articles devient pathétique, une litanie lacrymale. Jamais ou presque, je n'ai conté ces moments magiques, ce séjour féérique. Parce qu'il n'y pas à s'interroger, le bien être est évident, le bonheur n'a pas besoin de roman.
Ecrire pour mieux penser, pour mieux avancer, mais peut-être aussi pour se leurrer, pour se tromper. Ecrire cet amour que je lui porte, ce désir qu'il m'emporte, l'écrire n'a-t-il pas figé le sentiment, cristallisé l'amour naissant au point de ne plus le laisser vivant et par conséquent destiné à mourir.
Ecrire pour essayer de libérer la douleur, pour essayer d'accepter ce qui ne sera jamais mon bonheur. Pourquoi s'accrocher encore, alors que l'issue est inéluctable? Pourquoi tout espoir n'est-il pas mort? Parce qu'il y a son sourire coupable, son regard désirable, ses mots déraisonnables, cette sensation d'une envie inavouable. Pourquoi lutter pour le garder alors qu'il voudrait que je le laisse? Parce qu'il est toujours là, parce qu'il sourit lorsque je suis là, parce qu'il répond présent dès qu'il en a le temps, parce qu'il me dit arrête pour que je continue, parce que lorsque je pourrais disparaître, il aime à apparaître.
Je voudrais qu'il soit là, je le voudrais dans mes bras car dès que j'écris, la réponse apparaît limpide, sans doute possible, je voudrais être avec lui pour ne plus avoir mal sans lui, pour poursuivre une vie.