Il aura donc fallu accepter l'inacceptable, accomplir l'insupportable, admettre l'intolérable. Il aura donc fallu absorber ce comprimé, seule, et surtout ne pas le recracher alors que le coeur ne semble vouloir l'accepter, alors que le corps ne veut l'accepter. Et puis il aura fallu endosser cette blouse bleue, respirer cet air vicié et ... se laisser aller.
Comment allez-vous n'ont-ils cessé de demander lorsqu'à nouveau mes yeux se sont relevés. Physiquement, ça va. Que pouvais-je répondre d'autre? Que je les haïssais eux qui m'avaient affirmé ma stérilité, que je me haïssais moi qui n'avais pas la force d'assumer toutes les éventualités. Je me suis tue et j'ai attendu, et j'attends encore que ce corps qui avait tout préparé pour lui ne me rappelle pas en permanence qu'il a été là. J'attends encore de ne pas pleurer dès que ces mots sont prononcés, bébé, grossesse, maternité. J'attends encore de trouver la raison qui me fera réellement accepter ce que j'ai demandé. J'attends encore mais toujours j'attendrai car jamais on ne peut surmonter une mort qu'on a provoquée.
Il est des gens pour qui c'est une évidence et il y en a, encore plus nombreux, pour qui c'est une atroce souffrance, les deux n'étant pas incompatible.

Aujourd'hui, je sais qu'ils se sont trompés alors le traumatisme est inévitable, s'aimer n'est pas un jeu, s'aimer c'est prendre un risque, s'aimer c'est aller vers la mort


J'aurais peut-être pu t'aimer mais on ne peut offrir un grand-père en guise de père, des parents en guise de frères, et surtout, on ne peut offrir la maladie comme destin, l'atrophie cérébrale comme quotidien! Et pourtant, ils sont si nombreux à rêver chaque jour de pouvoir vivre ce droit à avoir un être en soi, moi, avais-je le droit de penser que c'était mieux de ne pas te permettre de poursuivre? J'ai toujours été et je suis toujours pour le droit à disposer de son corps mais depuis ce jour qui fut le dernier, j'ai mal d'avoir eu le droit d'en disposer.