On devrait bien enseigner aux enfants l'art d'être heureux. Non pas l'art d'être heureux quand le malheur vous tombe sur la tête ; je laisse cela aux stoïciens ; mais l'art d'être heureux quand les circonstances sont passables et que toute l'amertume de la vie se réduit à de petits ennuis et à de petits malaises.
La première règle serait de ne jamais parler aux autres de ses propres malheurs, présents ou passés. On devrait tenir pour une impolitesse de décrire aux autres un mal de tête, une nausée, une aigreur, une colique, quand même ce serait en termes choisis. De même pour les injustices et pour les mécomptes. Il faudrait expliquer aux enfants et aux jeunes gens, aux hommes aussi, quelque chose qu'ils oublient trop, il me semble, c'est que les plaintes sur soi ne peuvent qu'attrister les autres, c'est-à-dire en fin de compte leur déplaire, même s'ils cherchent de telles confidences, même s'ils semblent se plaire à consoler. Car la tristesse est comme un poison ; on peut l'aimer, mais non s'en trouver bien ; et c'est toujours le plus profond sentiment qui a raison à la fin. Chacun cherche à vivre, et non à mourir ; et cherche ceux qui vivent, j'entends ceux qui se disent contents, qui se montrent contents. Quelle chose merveilleuse serait la société des hommes, si chacun mettait de son bois au feu, au lieu de pleurnicher sur des cendres !
Remarquez que ces règles furent celles de la société polie ; et il est vrai qu'on s'y ennuyait, faute de parler librement. Notre bourgeoisie a su rendre aux propos de société tout le franc-parler qu'il y faut ; et c'est très bien. Ce n'est pourtant pas une raison pour que chacun apporte ses misères au tas ; ce ne serait qu'un ennui plus noir. [...] Le principe est celui-ci: si tu ne parles pas de tes peines, j'entends de tes petites peines, tu n'y penseras pas longtemps.
Dans cet art d'être heureux, auquel je pense, je mettrais aussi d'utiles conseils sur le bon usage du mauvais temps. Au moment où j'écris, la pluie tombe ; les tuiles sonnent ; mille petites rigoles bavardent ; l'air est lavé et comme filtré ; les nuées ressemblent à des haillons magnifiques. Il faut apprendre à saisir ces beautés-là. Mais, dit l'un, la pluie gâte les moissons. Et l'autre : la boue salit tout. Et un troisième : il est si bon de s'asseoir dans l'herbe. C'est entendu ; on le sait ; vos plaintes n'y retranchent rien, et je reçois une pluie de plaintes qui me poursuit dans la maison. Eh bien, c'est surtout en temps de pluie, que l'on veut des visages gais. Donc, bonne figure à mauvais temps.
8 septembre 1910, ALAIN, Propos sur le bonheur
C'est à ces mots que j'ai pensé en lisant le post de Maud.
Aux feuilles d'Automne aussi, oeuvre du jeune V. Hugo.
"Ainsi l'homme, ô mon Dieu ! marche toujours plus sombre
Du berceau qui rayonne au sépulcre plein d'ombre.
C'est donc avoir vécu ! c'est donc avoir été !
Dans la joie et l'amour et la félicité
C'est avoir eu sa part ! et se plaindre est folie.
Voilà de quel nectar la coupe était remplie !
Hélas ! naître pour vivre en désirant la mort !
Grandir en regrettant l'enfance où le coeur dort,
Vieillir en regrettant la jeunesse ravie,
Mourir en regrettant la vieillesse et la vie !
Où donc est le bonheur, disais-je ? - Infortuné !
Le bonheur, ô mon Dieu, vous me l'avez donné !"
J'aimerais ne jamais me plaindre, ne jamais faire subir ce mélodrame auquel j'ai assisté ce midi, alors que j'étais attablée dans ce bar.
De longues minutes à attendre, de longues minutes à consulter fébrile ce portable qui enfin sonna. Il arrive, elle ne lui sourit pas, l'assaille de reproches et pendant tout le temps de sa présence se tait, lui claque quelques phrases douloureuses. Il finit par se lever, l'heure enfin est venue pour lui de repartir et alors, elle se love, s'excuse et l'embrasse. Elle aura perdu ce temps précieux en récriminations dont elle ne tirera jamais aucune satisfaction.