Ils m'avaient dit que je ne pouvais plus, naïvement, douloureusement, je les avais crus. Ils m'avaient dit que tout était bouché, que ma salpingite avait tout endommagé. Alors, nous avons continué à nous aimer sans nous "protéger". Nous protéger de quoi? De l'amour, du plaisir, de ce don réciproque lors de nos étreintes amoureuses?
Pourtant, depuis quelques jours mon corps s'est transformé. Je n'ai pas compris tout de suite cette fatigue insoutenable, je n'ai pas saisi les raisons de cette respiration haletante, de ces picotements, de ces palpitations. A vrai dire, les jours passent, les mois défilent et je ne sais jamais vraiment quel jour doit arriver ces pertes féminines que j'abhorre tant.
Alors, je ne me suis pas inquiétée, je n'ai même pas remarqué que ces menstruations se faisaient attendre. L'époque était troublée, notre entente dégradée, les mots nous dépassaient, les maux nous enrobaient.
Aujourd'hui, je n'ai aucune certitude, je doute, je me doute mais n'ose pas croire que l'impossible est né, ici, dans mon, corps, qu'une nouvelle fois, je pourrais donner la vie. Je n'ose y croire, je n'ose réaliser le test qui clarifierait la situation, je n'ose, tant qu'il est absent, tant que je suis seule être mise face à cette réalité trop troublante.
Et pourtant, au fond de moi je sais, au fond de moi je sens qu'un petit être, né de lui et de moi, peu à peu se développe. Je le ressens, je le conçois et je le pleure déjà. Il est des réalités qui vous anéantissent, celle-là ne me permettra plus jamais de me regarder en face, ne me permettra plus jamais de retrouver le sourire. Cette réalité qui, si elle se confirme, fera de moi un assassin, m'obligera à commettre un crime.
Je ne pourrai permettre à ce petit être de poursuivre sa route, de trouver son chemin. Je n'aurai pas la force de le mener à la vie. Mon corps endolori, épuisé par le traitement médicamenteux qui est le mien, déjà, ne pourra lui garantir un environnement sain. Mon âge, celui de son père entravent déjà un nid possible. Je n'ai plus déjà vraiment l'âge, lui est déjà grand-père. Ma force psychologique ne me permettra pas non plus de lui donner tout l'amour dont il aurait besoin. Je peine à assumer les trois magnifiques enfants qui m'accompagnent alors qu'elles ne sont que facilité. Notre histoire, couple illégitime toujours pas divorcé ne permettrait pas à cet être d'avoir un nom, une identité.
ALors, toi qui as bravé l'impossible, toi qui as pris place dans ce nid instable, dans ce corps que je méprise, il te faudra le quitter avant que tu ne sois assez fort pour y résister. J'aurais aimé te choyer, t'aimer, te voir grandir, j'aurais aimé que tu sois la conséquence de cet amour merveilleux qui nous unit mais de même que notre histoire doit rester cachée, tu n'auras pas le droit d'exister.

Je t'aime pourtant déjà, je te ressens pourtant déjà. Je crois même que je sais exactement quand tu as été conçu. Tu aurais été forcément un être exceptionnel et pourtant, tu ne seras rien. Tu ne feras que de moi une criminelle, tu feras de notre histoire un amour sans lendemain. Comment pourrais-je encore accepter de l'étreindre alors que j'aurai tué notre amour dans son oeuf? comment pourrai-je encore accepter de nous joindre alors que nous avons mis un terme à ta volonté farouche?

Et pourtant, pour le bien être de ce qui sont déjà là, pour ton bien être aussi à toi, je dois te dire adieu avant même que je ne puisse te dire bonjour. C'est mon choix, je ne demande à personne ni de l'accepter, ni de le comprendre, ni de le réfuter. C'est notre décision aussi cruelle, terrible inhumaine soit elle. C'est mon chemin de croix, ma désillusion.

A toi qui ne connaîtra jamais le bonheur de vivre, je demande pardon mais je ne peux t'offrir que la mort  comme seule espérance. C'est en acceptant de ne pas poursuivre que j'offre une chance à la vie. Non pas la mienne qui avec la tienne forcément s'éteint mais à celle de mes enfants, de ses enfants.

J'ai mal alors même que je ne suis pas encore sûre de ta présence. J'ai mal alors que j'aurais tellement aimé savourer ta présence.

Ils m'avaient dit que je ne pouvais plus, je les ai crus, je n'aurais pas dû.
Ils m'avaient dit que je ne pouvais plus, et tu as là, tu n'aurais pas dû.

Toi seul peux comprendre ma douleur, toi seul sais ce qui me meut. Le droit me permet sans me juger de mettre un terme à cette vie. Le droit est de mon côté et il permet sans doute un meilleur avenir mais le droit ne me permet pas de rendre acceptable ce que je projette, le droit ne me garantit pas un esprit apaisé, le droit ne me permet pas de ne pas me sentir coupable. Le droit assure ma sécurité physique, assure mon intégrité sociale mais ne me permettra pas d'oublier.